Estate ’70, 1970
En 1969, après une période marquée par son engagement dans les activités d’un groupe d’artistes italiens aujourd’hui réunis sous la dénomination de « Arte Povera », le Turinois Alighiero Boetti (1940-1994) abandonne progressivement l’objet pour renouer avec la pratique du dessin. Il reconsidère ce médium dans l’optique d’un système normé, sur le modèle de la grille, capable de générer un nombre infini de variations. En particulier, il explore les qualités géométriques et ludiques du damier.
Estate ’70 s’inscrit dans cette recherche, tout en constituant le point culminant de la série des Bollini (« pastilles »). Celle-ci réunit six dessins et collages sur papier, réalisés entre 1969 et 1970, qui procèdent d’un même ensemble de règles et de contraintes graphiques. Estate ’70 se distingue toutefois par son format monumental – un rouleau de papier de 20 mètres de long – ainsi que par la composante temporelle suggérée à la fois par son titre (« été 1970 ») et le contexte de son exécution. Boetti réalise en effet cette œuvre à Milan, dans la galerie Franco Toselli, alors fermée pour les vacances d’été, et dans laquelle il se retire durant plusieurs semaines. Une grille régulière – ici tracée au crayon sur papier –donne la matrice géométrique d’un collage constitué de pastilles autocollantes et colorées, d’un modèle standardisé. Disposées en miroir, elles se reflètent de part et d’autre d’une même ligne. Procédant par zones, l’artiste explore les possibilités combinatoires des couleurs et des ensembles, laissant libre cours au plaisir de la variation, jouant sur les rythmes visuels et assumant les imperfections de l’exécution.
Boetti explore ici la limite entre la règle et le jeu, entre la contrainte et la singularité du joueur. Il participe à un intérêt renouvelé que des artistes portent alors au jeu. Dans les années 1960, Marcel Broodthaers, Robert Filliou ou, plus généralement, les artistes de la constellation Fluxus, ont fait de l’humour un mode opérationnel et une éthique de création. Parallèlement aux recherches de Boetti, le groupe Art & Langage et la scène conceptuelle alors émergeante font du protocole et de la sérialité de véritables outils de travail. Boetti se distingue des uns comme des autres par son approche : une poésie particulière, qui consiste à introduire le désordre de la subjectivité dans l’ordre de la règle, préside en effet à ses créations.