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L’artiste italienne Laura Grisi (1939-2017), par ses activités multiples qui font du « déplacement » l’une de leurs conditions fondamentales, incarne un sujet féminin nomade qui défie les politiques identitaires, conteste l’univocité des représentations et refuse l’uni-directionnalité du temps.

La pertinence des problématiques qu’elle envisage explique la nature de sa récente redécouverte : un renouvellement de l’attention critique qui va bien au-delà de la reconnaissance de sa contribution à l’art conceptuel, puisqu’elle concerne aussi des questions de genre et, ainsi que Teresa Castro l’a formulé récemment, « d’éco-féminisme ». 

En 1969, Grisi réalise Volume of Air, une salle cubique blanche entièrement et uniquement remplie d’air : pas d’image ni d’objet, rien qui ne vienne retenir le regard du visiteur. Seul un éclairage néon placé dans les angles de l’espace génère un effet lumineux poudré, remplissant le volume de quelque chose d’élusif et pourtant sensible. Rien d’autre que ce signe d’une absence, une matière aérienne qui élude la visibilité. C’est précisément ce rôle conféré à l’air qui distingue Grisi de ses contemporains de l’Arte Povera : « je ne voulais pas, déclare-t-elle, d’une peinture ou d’une sculpture qui contienne de l’air, de la terre ou de l’eau. Je ne voulais pas faire de l’air, de la terre ou de l’eau des objets. Je voulais recréer l’expérience des phénomènes naturels ».

Ses environnements « météorologiques » depuis 1968 visent en effet à reproduire des éléments ou des forces naturelles telles que le brouillard, l’arc-en-ciel ou la pluie, et restituer les qualités du sable, des pierres ou du vent. On pourrait faire ici un parallèle avec les pratiques d’artistes femmes telles que Judy Chicago, Maria Nordman, Teresa Burga ou Joan Jonas. Mais, pour Grisi, l’air est un medium – il n’est ni réifié en objet d’art ni l’objet d’une étude scientifique. Ainsi que l’écrivait la théoricienne féministe Luce Irigaray, « l’air n’est-il pas notre véritable habitat en tant que mortels ? Existe-t-il un refuge plus vaste, plus spacieux ou même plus apaisant que celui que nous offre l’air ? Est-ce que l’humanité peut vivre ailleurs que dans l’air ? »

Volume of Air est une première étape, quelque fondamentale qu’elle soit, d’un cycle de métamorphoses par lequel Laura Grisi donne à ressentir l’atmosphère, ses changements de pression ou de température, ou des phénomènes d’évaporation et de condensation. Ou, dit autrement, il s’agit de l’une des premières formulations par l’artiste de dispositifs où l’atmosphère génère des espaces : des environnements dans lesquels des phénomènes naturels sont reproduits ou transposés à l’intérieur d’un lieu d’exposition.

Le vent est l’acteur principal de son intervention pour le Teatro delle mostre à la galerie La Tartaruga en 1968. Le brouillard (avec des colonnes lumineuses) apparait en 1969 dans la cour de la galerie Marlborough de Rome. La pluie est présentée dans son exposition personnelle de la galerie Thelen de Cologne en 1970. Un tourbillon est le sujet d’un film 16mm projeté en cercle sur le sol, tandis qu’une machine à arc-en-ciel recrée « toutes les couleurs du spectre que l’air, qui n’en possède aucune, laisse traverser ». Toutes ses réalisations sont des chapitres d’un projet plus large et partiellement non réalisé, qui devait également inclure « la grêle, la condensation et le refroidissement de l’air ».

Ces œuvres étaient autant de raisons pour que l’aspect environnemental du travail de Grisi fasse l’objet d’une reconnaissance particulière. Inclue dans l’exposition séminale pour la sensibilité « éco-logique » de l’époque, Earth Air Fire Water : Elements of Art, organisée par Virginia Gunter au Boston Museum of Fine Arts en 1971, Grisi expose ainsi avec Hans Haacke, Dan Graham, Christo, Michael Heizer, Allan Kaprow, Dennis Oppenheim, Richard Serra et bien d’autres praticiens des « earthworks » qui émergent à la fin des années 1960. Pour autant, la tension entre l’échelle macro- et microscopique, entre l’universel et le particulier, entre le passé et le futur, font, chez Grisi, l’objet d’une attention singulière au minimal et au marginal, au « degré zéro » : le son de gouttes d’eau ou de la croissance d’une plante, la classification de galets, la couleur d’une feuille de manguier, la force du vent…

  • Organisée par Julien Fronsacq et Marco Scotini en collaboration avec Muzeum Susch
  • Avec le soutien de la Fondation du Groupe Pictet, de l'Estate de Laura Grisi et de P420, Bologne
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