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Assis, debout, couché

De vieux matelas en mousse sur lesquels se figent une vingtaine de pavés mal dégrossis, le tout saupoudré de confettis. Trois types d’objets modestes préalablement collectés, « non transformés », ou à peine. Trois matériaux qui n’ont en commun que d’être abondants et bon marché. Trois gestes anodins, banals. Trois fois rien ou pas grand-chose, la pièce n’ayant pas même la politesse d’un titre pour nous laisser démarrer la machine interprétative. Cette œuvre mutique d’Anita Molinero (*1953, Floirac, France) manifeste certains principes essentiels de son art. Il ne faut pas longtemps en effet pour comprendre que matelas, pavés et confettis condensent une certaine idée de la rue – entrevue au ras du bitume – et les fantômes des corps qui s’en emparent, ceux des sans-abris, des révoltés, des fêtards. Autant de figures de ce qui, dans l’espace public, excède l’ordre établi. L’ensemble fige symboliquement quelque chose de l’ordre du lendemain d’un grand soir, d’un rebut des étendards. 

Sur le plan de l’art, il faut noter que l’œuvre, qui ne dépasse pas la vingtaine de centimètres de haut, a encore l’outrecuidance de se réclamer de la sculpture. On connaît le bon mot, attribué selon les versions à Barnett Newman ou Ad Reinhardt : « La sculpture, c’est ce sur quoi l’on bute lorsqu’on recule pour regarder une peinture. » Molinero a toujours revendiqué, sinon cherché, cette agressivité spécifique au médium. Une violence qui se retrouve surtout dans les matériaux impurs, sans qualité, qui composent son œuvre : omniprésents dans la vie moderne, ils sont demeurés longtemps soustraits au regard de l’art. En les utilisant, il n’est pas question pour l’artiste de transfigurer le misérable, ni de rejouer, comme dans un mauvais feuilleton, l’éternelle réconciliation de l’art et la vie. Il s’agit davantage d’aller fouiller dans un angle mort esthétique pour en ramener des monceaux du réel les plus crus, mais aussi les plus familiers. C’est en effet la force de cette sculpture assemblagiste que de s’établir dans un no man’s land entre fiction figurative et « readymade ». Il faut, pour bien le comprendre, entendre l'artiste s’émerveiller de la Petite danseuse de quatorze ans de Degas, tout autant de son air vicieux que du tutu en tulle et du bustier en soie revêtu par la statue en bronze. 

Ainsi, que l’on se place dans un registre symbolique ou matériel, selon que l’on considère les objets assemblés ou ce qui les compose, la « sculpture des matelas », puisqu’il nous faut bien la nommer, exprime la provocation et l’arrogance caractéristiques de l’œuvre de Molinero. Cette œuvre disparue est ici réinterprétée. Elle constitue le point de départ de l’exposition qui déploie une dizaine de sculptures réalisées ces dix dernières années. Chacune évoque à sa manière une station du corps. Des matelas côtoient une table d’accouchement, des fauteuils roulants ou des assemblages qui prennent des airs de marcheurs. Assis, debout, couché : l’état des corps et des sculptures se trouve réduit à des injonctions propres au dressage. On peut y déceler un commentaire sarcastique sur les normes physiques auxquelles échappent les corps minoritaires ici convoqués : handicapés, femmes enceintes, sans abris. 

  • Exposition organisée par Paul Bernard
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