N°8

Couvre-feux, autorisations de déplacement, rétablissement des frontières nationales en Europe, normalisation du traçage des personnes, champ médiatique univoque, accroissement des inégalités et de l’isolement des plus fragiles : la Covid-19 s’est aussi attaquée à notre vivre-ensemble et aux fondations du modèle occidental de société démocratique.

En réalité, ce modèle était déjà fragilisé depuis plusieurs décennies par ce que Shoshana Zuboff a nommé le « capitalisme de surveillance » : captation et commercialisation des données personnelles, construction d’algorithmes prédictifs et modification des comportements, telles sont les grandes lignes de l’évolution de cette nouvelle économie reposant sur l’exploitation des pratiques et des comportements humains. 

Les années 1980 marquent le premier moment d’une réflexion artistique autour de la surveillance électronique, alors limitée à des appareils physiques. En simulant des installations de télésurveillance en réseau, en revenant sur la nature de ces images captées, saisies, appropriées, Julia Scher (*1954) révèle l’importance qu’elles ont prise dans notre environnement. Ses installations, ses performances et ses sculptures interrogent les questions de pouvoir et les dynamiques du contrôle social dans l’espace public. Avant que ces problématiques ne soient popularisées par des émissions comme Big Brother ou des films comme The Truman Show, Scher a fait apparaître un certain nombre de scénarii dystopiques liés à la surveillance ubiquitaire au sein du musée ou de la galerie d’art.

Dans les années 1960-1970, pour des artistes de l’ancien « bloc de l’Est », c’est tout l’espace public qui est placé sous surveillance, « étatisé » au moment même où, comme le révèle Dan Graham, il est, à l’Ouest, privatisé. « Performer » dans ce contexte, c’est déjà prendre des risques, c’est déjouer une surveillance humaine en choisissant des formes d’intervention discrètes, dissimulées, ou bien en se retranchant dans des lieux privés ou déserts. 

Avant l’apparition des outils électroniques, des dispositifs tels que le panoptique, analysé par Michel Foucault en 1975, avaient offert les mêmes promesses à une société désireuse d’étendre son contrôle : celles de tout voir sans être vu, « d’imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque », pour reprendre les termes de Gilles Deleuze.

L’installation Panopticon (1988) de Tony Conrad fait explicitement résonner ces réflexions avec les typologies de surveillance de son époque. Au fil de sa singulière carrière de musicien, d’artiste, de réalisateur, d’activiste et de pédagogue, Conrad (1940-2016) n’a cessé de pointer les relations systémiques au pouvoir qu’entretiennent les formes qu’il investit. Si son célèbre film The Flicker (1966) est une attaque « stroboscopique » du cinéma et de son public, des installations telles que Studio of the Streets (1991-1993) ou WiP (2013) pointent la confiscation de la parole publique par les médias et le contrôle exercé sur les corps par le système pénitentiaire.

Ces artistes et ces œuvres, auxquels nous aurions pu (ou voulu) ajouter les « images de prison » (Gefängnisbilder, 2000) de Harun Farocki, les démonstrations de séduction des images télévisuelles de Gretchen Bender (Total Recall, 1987) ou les réflexions de Hito Steyerl sur les techniques d’invisibilité dans l’univers électronique (How Not To Be Seen, 2013), analysent ou révèlent les mécaniques de surveillance et de contrôle actives dans nos sociétés. Mais ils indiquent aussi des formes de résistance semblables à ce que Michel de Certeau réunissait sous le terme de « braconnage » : des ruses, des échappées, des chemins de traverse qui permettent une réinvention du quotidien et de nos espaces de liberté. 

La séquence d’expositions de l’automne 2021 du MAMCO, avec la rétrospective de Tony Conrad, une intervention de Julia Scher et le projet collectif intitulé « Surveiller et performer », entend restituer ces réflexions qui toutes pressentaient que le 21e siècle serait celui de la surveillance totale et de la cartographie non plus du monde, mais du comportement humain.


N°7

La crise que nous traversons depuis l’émergence du virus Covid-19 et la nature des mesures prises par les gouvernements pour en combattre la circulation, ont profondément modifié le fonctionnement du MAMCO depuis le mois de mars 2020. Non seulement ses programmes, mais également son fonctionnement. Coupé, pendant plusieurs mois, de sa mission d’accueil et de formation des publics ; contraint, aujourd’hui encore, à d’incessants réaménagements de ses activités ; invité, par les changements sociétaux qui se profilent, à repenser ses modalités de travail, ses priorités ont été entièrement réorganisées. 

    D’abord, nous avons souhaité honorer nos engagements envers les artistes, nos équipes et nos partenaires ; aussi les projets prévus en 2020 ont-ils été reportés au deuxième semestre 2021 et au premier de 2022. 

Ensuite, nous nous sommes concentrés sur des tâches liées à la collection du musée. Après en avoir terminé l’inventaire en 2019, nous avons ainsi ouvert les chantiers de son récolement et de sa mise en ligne. Depuis le mois de juillet 2020, près de la moitié de la collection est désormais disponible à la consultation sur notre site Internet et nous continuerons à ajouter des corpus d’œuvres au fil des mois. 

De janvier à l’été 2021, nous vous invitons à redécouvrir cette collection, dans le cadre d’un « inventaire » physique auquel participent toutes les conservatrices et tous les conservateurs du musée – selon une méthodologie plurielle qui renvoie à la constitution de cet ensemble. 

Revenant sur des corpus peu montrés depuis leur entrée dans les collections ou, au contraire, sur des œuvres marquantes de l’expérience du musée, l’exposition est articulée autour de présentations collectives et historiques, ponctuées par des salles monographiques. 

Il s’agit d’affirmer le rôle que le MAMCO joue dans la constitution d’un patrimoine public en Suisse et d’offrir un parcours à travers des mouvements artistiques de la seconde moitié du 20e siècle, tout en proposant de nouveaux éclairages sur des corpus représentatifs que le musée conserve. 

De l’art minimal et conceptuel au mouvement Fluxus, du «Body Art» à l’appropriation des années 1970 et 1980, de l’héritage de l’abstraction aux retours de la figuration dans les dernières décennies, le balayage historique permet également de revenir sur des questions de théâtralité dans les arts visuels, sur la réflexion autour de l’architecture et de l’espace urbain menée par des artistes depuis les années 1960 ou encore sur le « devenir liquide » des images au tournant du 21e siècle. 


MAMCO Journal N°7

LE MAMCO TIENT À REMERCIER SES PARTENAIRES
FONDATION MAMCOÉtat de GenèveVille de GenèveJTIFondation LeenaardsFondation genevoise de bienfaisance Valeria Rossi di Montelera
ghfk